L'insomnie est un symptôme central dans les troubles psychiatriques faisant partie à la fois des manifestations, des évolutions, et des facteurs prédictifs de récurrence et de mauvaise évolution. Elle touche 85% des sujets en dépression (1), 70 à 80 % des patients souffrant de troubles anxieux (2), 60 à 90% des patients souffrant de Trouble de stress post traumatique (TPST) (4), 30 à 80% des sujets souffrant de schizophrénie (3), 60 à 70% des patients avec troubles d’usage de l’alcool (avec 50% des symptômes qui persistent pendant le sevrage) (4), 40 à 80% des patients avec troubles du spectre autistique (5), 43 % des patients avec trouble de déficit de l’attention et de l’hyperactivité (6). L’insomnie peut apparaître à n'importe quel stade de la maladie (prodromes, premier épisode, phase aiguë, récidive et même rémission). Elle est associée à une évolution plus défavorable de la maladie, à une sévérité accrue des symptômes, à des rechutes ou des récidives et à un risque suicidaire plus élevé (7–11). Ainsi, l’insomnie est un facteur de risque modifiable important pour prévenir les troubles psychiatriques et maintenir la rémission. L'évaluation et la prise en charge de l'insomnie par le psychiatre doit donc être une priorité dans les soins psychiatriques.
En conclusion, le sommeil est une dimension centrale à explorer par les psychiatres au cours des entretiens psychiatriques. Cibler l'insomnie peut non seulement améliorer l’insomnie en elle- même mais a également un impact favorable sur la trajectoire des troubles psychiatriques (12–14).
Face à une plainte d'insomnie chez un patient présentant un trouble psychiatrique, la première démarche du psychiatre va consister à caractériser cette plainte lors de l'examen clinique, en utilisant un agenda du sommeil. Il doit en premier lieu rechercher cliniquement la déstabilisation du trouble psychiatrique (état aigue du trouble ou symptômes résiduels du trouble psychiatrique).
Le psychiatre se doit d’élargir son champ d'investigation pour dépister systématiquement d'autres troubles du sommeil qui pourraient coexister avec le trouble psychiatrique de son patient. Ces troubles, souvent associés, englobent des perturbations des rythmes circadiens (retard de phase des cycles veille-sommeil), des comorbidités non psychiatriques telles que les troubles respiratoires du sommeil tels que le syndrome d’apnée obstructif du sommeil (SAOS), les troubles moteurs du sommeil tels que le syndrome des jambes sans repos (SJSR), mouvements périodiques de jambe (MPJ) et les parasomnies (15).
Soulignons l'importance de cette approche globale, car ces pathologies du sommeil sont souvent surreprésentées chez les individus souffrant de troubles psychiatriques. Les psychiatres aspirent à offrir une prise en charge holistique, tenant compte de l'ensemble des éléments qui peuvent influencer à la fois le sommeil, la santé mentale, les comorbidités cardiovasculaires et les réponses thérapeutiques (15).
Le plus souvent l’insomnie est associée à une mauvaise hygiène du sommeil (non-respect des horaires de coucher et de lever, sieste prolongée, levé tardif, télévision dans la chambre, activité le soir (tablette, ordinateur) atmosphère surchauffée). Cependant, il est crucial de noter que d'autres comorbidités liées à l'insomnie sont fréquemment observées chez les patients souffrant de pathologies psychiatriques et doivent être systématiquement investiguées. Il est ainsi observé que chez ces patients 25 à 50% de syndrome d'apnées obstructives du sommeil, 20 à 30% de syndrome de retard de phase de sommeil, et 10 à 20% de syndrome des jambes sans repos (15).
Si l'actigraphie n'est généralement pas recommandée pour l’évaluation de l'insomnie sans comorbidité, elle devient un outil essentiel (recommandation de rang A) lorsqu'elle est associée à des troubles psychiatriques. Les troubles psychiatriques sont des maladies de l’horloge biologiques et sont fortement associés aux troubles des rythmes circadiens, tels que le syndrome de retard ou l'avance de phase. L’actigraphie est un accéléromètre qui détecte l'intensité et la quantité de mouvement en fonction du temps et qui un outil pratique d’utilisation qui permet facilement d’objectiver de manière écologique sur 14 jours les anomalies circadiennes des rythmes veille sommeil. Cette approche proximale des anomalies circadiennes peut être complétée par la recherche de marqueurs endogènes de sécrétion de mélatonine et de cortisol et, de rythme de température.
De manière intéressante, les anomalies circadiennes ont été mis en évidence également sur le plan génétique avec l’implication des gènes principaux de l’horloge et de la voix de synthèse de mélatonine de manière transdiagnostique dans les troubles psychiatriques. Comprendre l’expression clinique de ces polymorphismes génétiques associés à la maladie est un champ de recherche en croissance avec des implications directes en clinique.
La polysomnographie est également préconisée dans l’exploration d’une insomnie dans le cadre d’un trouble psychiatrique pour évaluer les autres troubles du sommeil associés (recommandation de rang A). Par ailleurs, l'insomnie présente différents visages, notamment lorsqu'elle est associée à des pathologies psychiatriques. Ces dernières sont elles-mêmes très hétérogènes, avec des réponses thérapeutiques variables. L'identification de marqueurs objectifs de l'insomnie par polysomnographie pourrait permettre une meilleure compréhension de la physiopathogénie des sous-types plus homogènes d’insomnie. Cela ouvrirait la voie à des stratégies thérapeutiques adaptées et personnalisées.
Pr Pierre-Alexis Geoffroy et Dr Julia Maruani
Hôpital Bichat, Paris
Dossier spécial sur l'insomnie chronique
Ce contenu vous est proposé avec le soutien institutionnel d'Idorsia