Psychiatrie clinique, biologique et thérapeutique

La prise en charge de l’insomnie et ses comorbidités

Mis à jour le mercredi 29 novembre 2023

dans

 

Rôle du psychiatre – la prise en charge de l’insomnie est une priorité dans les soins psychiatriques

L'insomnie est un symptôme central dans les troubles psychiatriques faisant partie à la fois des manifestations, des évolutions, et des facteurs prédictifs de récurrence et de mauvaise évolution. Elle touche 85% des sujets en dépression (1), 70 à 80 % des patients souffrant de troubles anxieux (2), 60 à 90% des patients souffrant de Trouble de stress post traumatique (TPST) (4), 30 à 80% des sujets souffrant de schizophrénie (3), 60 à 70% des patients avec troubles d’usage de l’alcool (avec 50% des symptômes qui persistent pendant le sevrage) (4), 40 à 80% des patients avec troubles du spectre autistique (5), 43 % des patients avec trouble de déficit de l’attention et  de l’hyperactivité (6). L’insomnie peut apparaître à n'importe quel stade de la maladie (prodromes, premier épisode, phase aiguë, récidive et même rémission). Elle est associée à une évolution plus défavorable de la maladie, à une sévérité accrue des symptômes, à des rechutes ou des récidives et à un risque suicidaire plus élevé (7–11). Ainsi, l’insomnie est un facteur de risque modifiable important pour prévenir les troubles psychiatriques et maintenir la rémission. L'évaluation et la prise en charge de l'insomnie par le psychiatre doit donc être une priorité dans les soins psychiatriques.

En conclusion, le sommeil est une dimension centrale à explorer par les psychiatres au cours des entretiens psychiatriques. Cibler l'insomnie peut non seulement améliorer l’insomnie en elle- même mais a également un impact favorable sur la trajectoire des troubles psychiatriques (12–14).

Quelle approche en consultation ? Une approche holistique

Face à une plainte d'insomnie chez un patient présentant un trouble psychiatrique, la première démarche du psychiatre va consister à caractériser cette plainte lors de l'examen clinique, en utilisant un agenda du sommeil. Il doit en premier lieu rechercher cliniquement la déstabilisation du trouble psychiatrique (état aigue du trouble ou symptômes résiduels du trouble psychiatrique).

Le psychiatre se doit d’élargir son champ d'investigation pour dépister systématiquement d'autres troubles du sommeil qui pourraient coexister avec le trouble psychiatrique de son patient. Ces troubles, souvent associés, englobent des perturbations des rythmes circadiens (retard de phase des cycles veille-sommeil), des comorbidités non psychiatriques telles que les troubles respiratoires du sommeil tels que le syndrome d’apnée obstructif du sommeil (SAOS), les troubles moteurs du sommeil tels que le syndrome des jambes sans repos (SJSR), mouvements périodiques de jambe (MPJ) et les parasomnies (15).

Soulignons l'importance de cette approche globale, car ces pathologies du sommeil sont souvent surreprésentées chez les individus souffrant de troubles psychiatriques. Les psychiatres aspirent à offrir une prise en charge holistique, tenant compte de l'ensemble des éléments qui peuvent influencer à la fois le sommeil, la santé mentale, les comorbidités cardiovasculaires et les réponses thérapeutiques (15).

Prises en charge diagnostique des comorbidités :

Répertorier les comorbidités possibles

Le plus souvent l’insomnie est associée à une mauvaise hygiène du sommeil (non-respect des horaires de coucher et de lever, sieste prolongée, levé tardif, télévision dans la chambre, activité le soir (tablette, ordinateur) atmosphère surchauffée). Cependant, il est crucial de noter que d'autres comorbidités liées à l'insomnie sont fréquemment observées chez les patients souffrant de pathologies psychiatriques et doivent être systématiquement investiguées. Il est ainsi observé que chez ces patients 25 à 50% de syndrome d'apnées obstructives du sommeil, 20 à 30% de syndrome de retard de phase de sommeil, et 10 à 20% de syndrome des jambes sans repos (15).

Rôle de l’actigraphie

Si l'actigraphie n'est généralement pas recommandée pour l’évaluation de l'insomnie sans comorbidité, elle devient un outil essentiel (recommandation de rang A) lorsqu'elle est associée à des troubles psychiatriques. Les troubles psychiatriques sont des maladies de l’horloge biologiques et sont fortement associés aux troubles des rythmes circadiens, tels que le syndrome de retard ou l'avance de phase. L’actigraphie est un accéléromètre qui détecte l'intensité et la quantité de mouvement en fonction du temps et qui un outil pratique d’utilisation qui permet facilement d’objectiver de manière écologique sur 14 jours les anomalies circadiennes des rythmes veille sommeil. Cette approche proximale des anomalies circadiennes peut être complétée par la recherche de marqueurs endogènes de sécrétion de mélatonine et de cortisol et, de rythme de température.

De manière intéressante, les anomalies circadiennes ont été mis en évidence également sur le plan génétique avec l’implication des gènes principaux de l’horloge et de la voix de synthèse de mélatonine de manière transdiagnostique dans les troubles psychiatriques. Comprendre l’expression clinique de ces polymorphismes génétiques associés à la maladie est un champ de recherche en croissance avec des implications directes en clinique.

Importance de la Polysomnographie

La polysomnographie est également préconisée dans l’exploration d’une insomnie dans le cadre d’un trouble psychiatrique pour évaluer les autres troubles du sommeil associés (recommandation de rang A). Par ailleurs, l'insomnie présente différents visages, notamment lorsqu'elle est associée à des pathologies psychiatriques. Ces dernières sont elles-mêmes très hétérogènes, avec des réponses thérapeutiques variables. L'identification de marqueurs objectifs de l'insomnie par polysomnographie pourrait permettre une meilleure compréhension de la physiopathogénie des sous-types plus homogènes d’insomnie. Cela ouvrirait la voie à des stratégies thérapeutiques adaptées et personnalisées.

Pr Pierre-Alexis Geoffroy et Dr Julia Maruani
Hôpital Bichat, Paris

Dossier spécial sur l'insomnie chronique

Références

  1. Geoffroy PA, Hoertel N, Etain B, Bellivier F, Delorme R, Limosin F, et al. Insomnia and hypersomnia in major depressive episode: Prevalence, sociodemographic characteristics and psychiatric comorbidity in a population-based study. J Affect Disord. janv 2018;226:132‑41.
  2. LeBlanc M, Mérette C, Savard J, Ivers H, Baillargeon L, Morin CM. Incidence and Risk Factors of Insomnia in a Population-Based Sample. Sleep. août 2009;32(8):1027‑37.
  3. Cohrs S. Sleep disturbances in patients with schizophrenia : impact and effect of antipsychotics. CNS Drugs. 2008;22(11):939‑62.
  4. Geoffroy PA, Lejoyeux M, Rolland B. Management of insomnia in alcohol use disorder. Expert Opin Pharmacother. févr 2020;21(3):297‑306.
  5. Al Lihabi A. A literature review of sleep problems and neurodevelopment disorders. Front Psychiatry. 2023;14:1122344.
  6. Wynchank D, Ten Have M, Bijlenga D, Penninx BW, Beekman AT, Lamers F, et al. The Association Between Insomnia and Sleep Duration in Adults With Attention-Deficit Hyperactivity Disorder: Results From a General Population Study. J Clin Sleep Med JCSM Off Publ Am Acad Sleep Med. 15 mars 2018;14(3):349‑57.
  7. Etain B, Godin O, Boudebesse C, Aubin V, Azorin JM, Bellivier F, et al. Sleep quality and emotional reactivity cluster in bipolar disorders and impact on functioning. Eur Psychiatry. sept 2017;45:190‑7.
  8. Geoffroy PA, Scott J, Boudebesse C, Lajnef M, Henry C, Leboyer M, et al. Sleep in patients with remitted bipolar disorders: a meta-analysis of actigraphy studies. Acta Psychiatr Scand. févr 2015;131(2):89‑99.
  9. Geoffroy PA, Oquendo MA, Courtet P, Blanco C, Olfson M, Peyre H, et al. Sleep complaints are associated with increased suicide risk independently of psychiatric disorders: results from a national 3-year prospective study. Mol Psychiatry [Internet]. 30 avr 2020; Disponible sur: http://www.nature.com/articles/s41380-020-0735-3
  10. Palagini L, Bastien CH, Marazziti D, Ellis JG, Riemann D. The key role of insomnia and sleep loss in the dysregulation of multiple systems involved in mood disorders: A proposed model. J Sleep Res [Internet]. déc 2019;28(6). Disponible sur: https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/jsr.12841
  11. O’Brien EM, Chelminski I, Young D, Dalrymple K, Hrabosky J, Zimmerman M. Severe insomnia is associated with more severe presentation and greater functional deficits in depression. J Psychiatr Res. août 2011;45(8):1101‑5.
  12. Bellivier F, Geoffroy PA, Etain B, Scott J. Sleep- and circadian rhythm–associated pathways as therapeutic targets in bipolar disorder. Expert Opin Ther Targets. 3 juin 2015;19(6):747‑63.
  13. Asarnow LD, Bei B, Krystal A, Buysse DJ, Thase ME, Edinger JD, et al. Circadian Preference as a Moderator of Depression Outcome Following Cognitive Behavioral Therapy for Insomnia Plus Antidepressant Medications: A Report From the TRIAD Study. J Clin Sleep Med. 15 avr 2019;15(04):573‑80.
  14. Harvey AG. Sleep and Circadian Rhythms in Bipolar Disorder: Seeking Synchrony, Harmony, and Regulation. Am J Psychiatry. juill 2008;165(7):820‑9.
  15. Geoffroy PA, Micoulaud Franchi JA, Lopez R, Poirot I, Brion A, Royant-Parola S, et al. [How to characterize and treat sleep complaints in bipolar disorders?]. L’Encephale. août 2017;43(4):363‑73.

 

Ce contenu vous est proposé avec le soutien institutionnel d'Idorsia

Idorsia

Dernières actualités

Anxiété et insomnie chez les seniors : comment se passer des benzodiazépines ?

L'ANSM a rappelé les dangers de l'usage des benzodiazépines chez les seniors pour traiter l'anxiété ou l'insomnie. Quelles sont les alternatives ?

IA, Machine Learning & Psychiatrie

L'IA et le machine learning peuvent-ils ouvrir de nouvelles voies pour une psychiatrie de précision ? Jean-Del Burdairon apporte quelques éléments de réponse avec l'exemple de l'électroencéphalographie pour la classification du trouble obsessionnel-compulsif.

Schizophrénie : Quand ça va trop vite !

Très présent chez les schizophrènes, le risque de suicide pourrait être impacté par certaines variantes génétiques selon des études récentes, décryptées par Jean-Del Burdairon.

Dépression résistante : et après ?

La dépression résistante concerne jusqu’à 30% des épisodes dépressifs majeurs. Quelle stratégie adopter pour favoriser et maintenir la rémission ?