L'émoussement affectif est un symptôme fréquent chez les patients souffrant d'un trouble dépressif majeur (TDM). Il se caractérise par une incapacité à ressentir toute la gamme des émotions associées aux expériences normales de la vie1. Pour les patients, l'émoussement affectif peut être défini comme le fait de se sentir émotionnellement « engourdi » ou « indifférent », de manquer d'émotions -qu’elles soient de valence positives ou négatives-, de se sentir détaché du monde environnant et d'être incapable de s'intéresser aux activités qu’ils percevaient avant comme agréable2. Bien que ce symptôme puisse être rattaché à la pathologie dépressive, en particulier les formes mélancoliques, il serait particulièrement lié à l’usage de traitement antidépresseur3. Cette distinction entre émoussement affectif « primaire » ou « secondaire » (c’est-à-dire provoqué par les antidépresseurs) mériterait d’être mieux précisée4,5.
Par ailleurs, les patients ayant subi un traumatisme grave rapportent un émoussement affectif plus sévère que ceux n’ayant pas subi de traumatisme1. L'émoussement affectif est l'une des principales plaintes des patients souffrant de troubles dépressifs majeurs (TDM). Ainsi, environ 50 à 60 % des patients souffrant de troubles dépressifs majeurs traités par des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (IRS) ou des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNA) font état d'un certain degré d'émoussement affectif, et il s'agit d'une cause prédominante d’interruption du traitement2. En effet, l'effet de l'émoussement affectif sur la prise de décision peut affecter l'adhésion au traitement, et la non-observance augmente les risques d'interruption du traitement, de rechute, de vulnérabilité au suicide et résulte en un fardeau économique plus lourd3.
L’émoussement affectif a un impact significatif sur la qualité de vie et le fonctionnement quotidien du patient4. Les patients souffrant de TDM et d'émoussement affectif sévère rapportent des scores de dépression, d'anxiété et de fonctionnement social inférieurs à ceux des patients dont l'émoussement affectif est nul ou modéré5. L'impact de l'émoussement affectif sur la qualité de vie des patients se traduit par un détachement de leur famille, une altération des compétences parentales, des problèmes financiers et une diminution de la sociabilité, ainsi que par une détérioration des relations à la maison et au travail6.
Ce symptôme est d’autant plus à prendre en considération qu’il existe une divergence entre le point de vue des patients et celui des cliniciens sur l'impact des antidépresseurs sur l'émoussement affectif7. Dans cette dernière étude, 45 % des patients sous antidépresseurs pensaient que leur médicament affectait négativement leurs émotions, mais seulement 30 % des patients étaient considérés par les cliniciens comme présentant ce symptôme à cause de leur traitement. Ces résultats soulignent la nécessité d'une sensibilisation et d'une compréhension accrues du rôle des antidépresseurs dans l'émoussement affectif.
Les IRS et, dans une moindre mesure, les IRSNA semblent déclencher ou aggraver les symptômes d’émoussement affectif, ce symptôme serait moins rapporté avec d’autres classes de traitement antidépresseurs8. Les traitements antidépresseurs plus récents semblent prometteurs dans l'amélioration de l'émoussement affectif, y compris lorsque celui-ci est induit par les médicaments9. Les dernières données scientifiques sur les traitements antidépresseurs multimodaux, l'agonisme partiel D3, les traitements glutamatergiques et la modulation des récepteurs opioïdes kappa fournissent des résultats encourageants10,11.
Pr Éric Fakra, psychiatre, Saint-Étienne
Compte rendu d'une session présentée lors de l'ECNP (European College of Neuropsychopharmacology), Milan 21-24 septembre 2024
Avec le soutien institutionnel de Lundbeck
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