Les orateurs défilent à l'ECNP 2024 en parallèle de la fashion week pour nous présenter les nouveautés de la collection « dépression et thérapie digitale ».
Premier passage pour le Dr Anne Karow (Allemagne) qui nous rappelle les fondamentaux de la dépression. Fini l’engouement pour la vision lésionnelle du cerveau, il faut faire place à de nouvelles tendances. Dr Karrow nous invite à voir la dépression comme un « network disorder » caractérisé par un défaut de connectivité entre les différentes zones cérébrales. En découle un nouveau paradigme, celui de la neuroplasticité dans la dépression1. C’est à partir de ce postulat que nos jeunes créateurs se sont lancés dans l’idée de créer de nouveaux programmes thérapeutiques en s’appuyant sur les apports des thérapies digitales.
Dr Rakesh Jain (USA) enchaîne dans un second passage sur l’intérêt des thérapies digitales en santé mentale. Il existe déjà différentes thérapies digitales en santé mentale. Elles s’appuient principalement sur des modules de TCC ou le biofeedback. En Europe, elles sont surtout disponibles en Allemagne où 64 thérapies digitales (Novego, Selfapy, Deprexis) sont accessibles aux patients et remboursées… Quasi toutes s’appuient sur des exercices de TCC et excluent les patients présentant une dépression d’intensité sévère. Aux USA une nouvelle thérapie digitale est d’ores et déjà disponible : l’application mobile CT-152 appelée RejoynTM. Elle est actuellement en développement en Grande Bretagne et en Europe. Elle s’appuie sur des exercices d’EFMT. C’est aujourd’hui, la pièce maitresse de ce symposium.
Mais qu’est-ce que l’Emotional Faces Memory Task ?
C’est un programme pour travailler la dysrégulation émotionnelle dans la dépression, c’est-à-dire : la réaction exagérée aux stimuli négatifs (visages tristes) et la sous-réaction aux stimuli positifs (visages heureux). Ce programme vise à améliorer le contrôle cognitif des émotions en proposant des exercices combinant le traitement cognitif (tâche de mémoire de travail) et le traitement des émotions (tâche d'identification des émotions). L’efficacité de l’EFMT a été étudiée dans deux études « proof of concept » et une étude IRMf qui ont montré une réduction significative des symptômes de dépression ainsi qu’une modification de la neuroplasticité cérébrale des patients atteints de dépression avec l’EFMT par rapport aux témoins. Ce sont ces données qui ont motivé au développement d’une thérapie digitale basée sur des exercices de reconnaissance faciale.
CT-152 propose l’association d’exercices d’EFMT, d’exercices basés sur les TCC et de messages de soutien pour maintenir l'engagement dans l'application et renforcer les compétences acquises au cours des exercices2. L’intérêt de CT-152 est de tirer parti de la neuroplasticité pour moduler l’hyperactivité dans l’amygdale et améliorer le contrôle émotionnel descendant par le cortex préfrontal3. L’étude MIRAI, essai contrôlé randomisé en double aveugle, a permis d’évaluer l’efficacité et la tolérance de cette thérapie digitale chez 152 adultes atteints de dépression traités par une monothérapie antidépressive. Pendant 6 semaines un groupe avait accès en complément à leur antidépresseur, soit à CT 152 soit à une intervention placebo. Cette période était suivie de 4 semaines d’extension avec l’antidépresseur seul. Soit une durée d’étude de 10 semaines.
Alors que EFMT permet un travail à la fois cognitif et émotionnel, le bras placebo consiste en des exercices de mémoire de formes et permet donc un travail cognitif mails pas émotionnel.
Les résultats de l’étude2 montrent à 6 semaines une efficacité supérieure du CT 152 sur la réduction des symptômes de dépression par rapport au groupe placebo. Cette efficacité est retrouvée même dans le sous-groupe patients ayant un score d’anxiété élevé au début de l’étude (GAD 7 modéré ou élevé). L’étude rapporte des niveaux de satisfaction très importants chez les patients et les prescripteurs, et un profil de tolérance très satisfaisant, ne mettant pas en évidence d’interruption de traitement ou d’effets secondaires en lien avec CT 152.
Pour clore cette session, Dr Ramalingam Chithiramohan (Angleterre) nous rappelle que si les thérapies digitales sont un vrai espoir en termes d’innovation thérapeutique, elles sont soumises à une réglementation en tant que dispositifs médicaux. Certains pays d’Europe ont commencé à développer des cadres législatifs pour aider à évaluer ces thérapies digitales, valider leur efficacité et envisager un remboursement. Si les thérapies digitales doivent être sous-tendues par des données cliniques d’essais contrôlés, leurs applications doivent être guidées par les Real World Evidence4. Pourra aussi se poser la question des traitements antidépresseurs les plus propices à de telles interventions cognitives par voie digitale. Ce qui interroge leurs effets tant sur la neuroplasticité que sur la cognition.
Dr Odile Amiot, psychiatre, Boulogne-Billancourt
Compte rendu d'une session présentée lors de l'ECNP (European College of Neuropsychopharmacology), Milan 21-24 septembre 2024
Avec le soutien institutionnel de Lundbeck
Attention cette publication est un compte-rendu de congrès qui peut contenir des informations hors autorisation de mise sur le marché