Psychiatrie clinique, biologique et thérapeutique

Des cibles thérapeutiques croisées

Mis à jour le mardi 21 octobre 2025

Les troubles anxieux, très répandus en psychiatrie avec une prévalence allant de 5 à 25 % au cours de la vie1, sont étroitement liés à l’insomnie chronique, particulièrement lorsqu’elle est sévère. Ce lien est bidirectionnel : l’insomnie chronique augmente le risque de développer un trouble anxieux, tandis que l’anxiété elle-même perturbe le sommeil en provoquant des difficultés d’endormissement, des réveils fréquents et une sensation de sommeil non réparateur2–4.

Parmi les troubles anxieux, le trouble anxieux généralisé (TAG) est celui qui entretient la relation la plus marquée avec l’insomnie chronique : jusqu’à 80 % des patients atteints de TAG dorment mal, et ces derniers sont 140 % plus susceptibles d’avoir des troubles du sommeil que ceux atteints d’autres formes d’anxiété9. Ce phénomène s’explique notamment par les ruminations, l’hypervigilance et la peur du manque de sommeil, créant un cercle vicieux entre inquiétudes et éveil physiologique, confirmé par des études polysomnographiques qui montrent un temps de sommeil réduit et une latence d’endormissement prolongée10.

D’autres formes d’anxiété perturbent aussi le sommeil, comme les attaques de panique nocturnes, présentes chez environ 65 % des patients avec trouble panique4. Survenant à l’endormissement ou en plein sommeil, souvent sans contenu onirique, ces crises se manifestent par des signes cliniques intenses : palpitations, sueurs, sensation d’étouffement, oppression thoracique, avec parfois l’impression de mourir ou de “devenir fou”. Il est fréquent que les patients se réveillent en pleine crise de panique. Ces épisodes entraînent une peur anticipée du coucher, aggravant encore l’insomnie. On les retrouve surtout au cours du sommeil lent léger N2, au moment du passage vers le sommeil profond N311,12. Le diagnostic différentiel est essentiel, notamment pour écarter certaines formes d’épilepsie nocturne ou d’apnées du sommeil, qui peuvent mimer des manifestations anxieuses.  

Le trouble de stress post-traumatique (TSPT) et les troubles obsessionnels-compulsifs (TOC) sont aussi impliqués dans des perturbations chroniques du sommeil, avec notamment des cauchemars fréquents et un trouble insomnie dans le TSPT, et des rituels du soir retardant l’endormissement dans les TOC10,13.  

Concernant les TOC, la gravité des troubles du sommeil, comme l’insomnie ou le retard de phase, est étroitement liée à l’intensité des symptômes obsessionnels-compulsifs, indépendamment de la dépression ou d’autres troubles anxieux. Ce lien suggère un rôle spécifique du sommeil dans les TOC, notamment via une altération du contrôle inhibiteur liée à la dette de sommeil. À l’inverse, les pensées intrusives et répétitives propres aux TOC peuvent perturber l’endormissement et maintenir un état d’hyperéveil. Par ailleurs, l’insomnie et le chronotype vespéral apparaissent comme des facteurs prédictifs indépendants de l’émergence ou de l’aggravation des TOC. Enfin, la persistance des troubles du sommeil après traitement est associée à une réponse thérapeutique moins favorable, soulignant la nécessité d’une prise en charge intégrée du sommeil, de l’anxiété et des symptômes obsessionnels.

 La thérapie cognitive et comportementale pour l’insomnie (TCC-i) est le traitement de première ligne de l’insomnie chronique, y compris en présence de troubles anxieux, quel que soit leur profil14. Elle améliore l’insomnie mais aussi l’anxiété, la dépression et la qualité de vie, surtout lorsque les dimensions cognitives sont pleinement intégrées15–17. Toutefois, dans le TAG, la présence de symptômes anxieux importants peut réduire son efficacité : seuls 26,1 % des patients avec anxiété atteignent la rémission de leur insomnie, contre environ 56 % dans les cas d’insomnie isolée17. Cela souligne l’intérêt de combiner la TCC-i à des approches complémentaires centrées sur la régulation émotionnelle et la réduction de l’hyperéveil, comme la pleine conscience ou les interventions ciblant les schémas cognitifs anxieux18,19.

Une prise en charge intégrée, tenant compte de la complexité des liens entre sommeil et anxiété, reste donc indispensable pour espérer rompre ce cercle vicieux profondément enraciné.

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Références

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2. Hertenstein E, Feige B, Gmeiner T, Kienzler C, Spiegelhalder K, Johann A, et al. Insomnia as a predictor of mental disorders: A systematic review and meta-analysis. Sleep Medicine Reviews [Internet]. févr 2019;43:96‑105. Disponible sur: https://linkinghub.elsevier.com/retrieve/pii/S1087079218301138
3. Pigeon WR, Bishop TM, Krueger KM. Insomnia as a Precipitating Factor in New Onset Mental Illness: a Systematic Review of Recent Findings. Current Psychiatry Reports [Internet]. août 2017;19(8). Disponible sur: http://link.springer.com/10.1007/s11920-017-0802-x
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9. Marcks BA, Weisberg RB, Edelen MO, Keller MB. The relationship between sleep disturbance and the course of anxiety disorders in primary care patients. Psychiatry Res. 15 août 2010;178(3):487‑92.
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19. Riemann D, Espie CA, Altena E, Arnardottir ES, Baglioni C, Bassetti CLA, et al. The European Insomnia Guideline: An update on the diagnosis and treatment of insomnia 2023. J Sleep Res. déc 2023;32(6):e14035.

 

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