Psychiatrie clinique, biologique et thérapeutique

Troubles anxieux et insomnie : qui de la poule et de l'oeuf?

Mis à jour le vendredi 24 octobre 2025

En consultation, la question revient sans cesse : l’anxiété empêche-t-elle de dormir, ou l’insomnie nourrit-elle l’anxiété ? La réponse est bidirectionnelle, mais la littérature montre un sens préférentiel : l’insomnie prédit l’émergence ultérieure de troubles anxieux, avec un risque multiplié par 3 dans les cohortes prospectives. Traiter le sommeil n’est donc pas un « à-côté », c’est une prévention secondaire en santé mentale1.

D’un point de vue physiopathologique, les deux troubles partagent un hyperéveil (d’une part cognitif : ruminations, anticipations négatives ; d’autre part physiologique : activation autonome) qui fragmente la nuit et hypersensibilise aux signaux de menace le jour. Se met en place alors un cercle auto-entretenu bien connu : moins je dors, plus je suis anxieux ; plus je suis anxieux, moins je dors. D’où l’intérêt d’interventions ciblant l’hyperéveil plutôt que de chercher une sédation médicamenteuse.

L’évaluation de première ligne recherche systématiquement des comorbidités de l’insomnie (syndrome d’apnée du sommeil et jambes sans repos) et l’usage de substances stimulantes licites et illicites (caféine, nicotine, cocaïne, amphétamines, boissons énergisantes). En parallèle, le psychiatre peut avoir recours à l’Insomnia Severity Index (ISI) et à l’agenda de sommeil pour objectiver la sévérité de l’insomnie selon le ressenti du patient et le retentissement (notamment diurne) sur sa qualité de vie.

Côté traitement, les recommandations européennes placent la TCC-i2 (le I signifiant centré sur l’insomnie) en première intention, y compris en cas de comorbidités psychiatriques. Elle vise à reconstruire l’association « lit = dormir » (contrôle du stimulus), en recalibrant la fenêtre de sommeil (restriction du temps au lit) et en corrigeant les pensées dysfonctionnelles sur le sommeil. Elle s’appuie sur des routines stables (heures fixes, exposition à la lumière/ activité le jour).

En pratique, il est courant d’y associer rapidement une approche médicamenteuse ponctuelle pour aider le patient qui souffre de ses insomnies. On tente alors souvent d’introduire des antihistaminiques. Attention, ceux-ci ne sont pas recommandés dans les lignes directrices : ils ont une efficacité limitée et de potentiels effets résiduels tels que somnolence ou sécheresse buccale. Par ailleurs, des signaux de pharmacovigilance rapportés en 2021 en Angleterre3 incitent à la prudence, en particulier hors usage encadré. Les « Z drug » ou les benzodiazépines peuvent aider mais uniquement sur une courte durée, et en définissant un plan de sevrage d’emblée car ils suscitent de nombreux effets indésirables que le patient ne perçoit pas toujours (dépendance et tolérance, risque de chutes et d’accident de voiture, confusion nocturne). En présence d’un trouble anxieux, les IRS seront bien sûr à envisager de façon préférentielle. 

Lorsque la TCC-i ne suffit pas à moyen terme ou n’est pas disponible, ou si le sommeil reste perturbé chez des patients anxieux malgré un IRS, plusieurs options pharmacologiques restent possibles. On commencera par la mélatonine LP en monothérapie, en particulier chez les patients de plus de 55 ans (seule AMM) et chez les patients souffrant de retard de phase. Pour les profils de patients avec hyperéveil marqué (fréquents chez les anxieux), les antagonistes des récepteurs de l’orexine (DORA)4 constituent une classe non GABAergique visant directement le système d’éveil. Les données contrôlées et de vie réelle suggèrent une efficacité sur le sommeil, avec bénéfices diurnes, y compris chez des patients avec comorbidités psychiatriques — sans prétendre régler l’anxiété de fond. Le choix se fait toujours après TCC-i, au cas par cas, en tenant compte des contre-indications de chaque patient et son phénotype d’insomnie.

À retenir en pratique quotidienne :

  1. Dépister activement l’insomnie chez tout patient anxieux et inversement.
  2. Traiter l’insomnie au plus tôt : c’est un levier pronostique sur la trajectoire anxieuse.
  3. Prioriser TCC-i, ajouter un traitement pharmacologique si nécessaire, en privilégiant les approches ciblant l’hyperéveil en cas d’anxiété.

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Références

1. Elisabeth Hertenstein, Bernd Feige, Tabea Gmeiner, Christian Kienzler, Kai Spiegelhalder, Anna Johann, Markus Jansson-Fröjmark, Laura Palagini, Gerta Rücker, Dieter Riemann, Chiara Baglioni "Insomnia as a predictor of mental disorders: A systematic review and meta-analysis" Sleep Medicine Reviews, Volume 43, February 2019, Pages 96-105
2. Riemann, D., Espie, C. A., Altena, E., Arnardottir, E. S., Baglioni, C., Bassetti, C. L. A., Bastien, C., Berzina, N., Bjorvatn, B., Dikeos, D., Dolenc Groselj, L., Ellis, J. G., Garcia-Borreguero, D., Geoffroy, P. A., Gjerstad, M., Gonçalves, M., Hertenstein, E., Hoedlmoser, K., Hion, T., Spiegelhalder, K. « The European Insomnia Guideline: An update on the diagnosis and treatment of insomnia 2023 », Journal of Sleep Research, 32(6), e14035.
3. Princess J. Oyekan, Hayley C. Gorton, Caroline S. Copeland, « Antihistamine-related deaths in England: Are the high safety profiles of antihistamines leading to their unsafe use? », British Journal of Clinical Pharmacology, Volume87, Issue10, October 2021
4. Clemens Muehlan, Catherine Roch, Cedric Vaillant, Jasper Dingemanse « The orexin story and orexin receptor antagonists for the treatment of insomnia Journal of sleep research, Volume32, Issue 6, Special Issue:Insomnia, December 2023

 

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