Psychiatrie clinique, biologique et thérapeutique

Insomnie et dépression : du cercle vicieux aux solutions thérapeutiques

Mis à jour le mardi 23 septembre 2025

 

L’insomnie, ou trouble insomnie, est le trouble du sommeil le plus fréquent chez les patients atteints de troubles de l’humeur. Loin d’être un simple symptôme secondaire, elle constitue une entité indépendante, en même temps qu’un facteur de risque majeur de survenue, de sévérité et de rechute. Dans l’épisode dépressif caractérisé, unipolaire ou bipolaire, la plainte d’insomnie affecte plus de 85 % des patients(1). De plus, chez plus de la moitié d’entre eux, elle persiste même après la rémission, ce qui en fait un marqueur pronostique de grande importance. Ces données épidémiologiques justifient pleinement que l’insomnie soit considérée comme une cible thérapeutique prioritaire dans la prise en charge des troubles de l’humeur(2)

Sur le plan physiopathologique, l’insomnie et la dépression partagent des mécanismes neurobiologiques communs : hyperactivation de l’axe du stress, altération de la plasticité neuronale et des systèmes monoaminergiques, perturbations de la rythmicité circadienne et de la régulation émotionnelle(3). Ces perturbations renforcent un cercle vicieux dans lequel l’insomnie augmente la vulnérabilité à la dépression, aggrave sa sévérité et entretient le risque de rechute(4).

La prise en charge de l’insomnie dans les troubles psychiatriques repose aujourd’hui sur des recommandations européennes claires(5). Le traitement de première intention est la thérapie cognitivo-comportementale de l’insomnie (TCC-I). Son efficacité est démontrée non seulement sur l’amélioration du sommeil, mais aussi sur la réduction des symptômes dépressifs et anxieux, la diminution de l’usage d’hypnotiques, et la prévention des rechutes. La TCC-I est efficace y compris en cas de comorbidités psychiatriques, notamment les troubles dépressifs, et peut être proposée en formats individuels, de groupe, ou numériques, permettant une diffusion large et accessible(6).

Sur le plan pharmacologique, les hypnotiques benzodiazépines et apparentés, peuvent être utilisés à court terme dans les phases aiguës, mais leur usage chronique doit être évité, au-delà de 4 semaines, en raison des risques de tolérance, dépendance et effets secondaires cognitifs notamment (4).

Les antidépresseurs sont largement utilisés dans le traitement de l’insomnie, notamment lorsqu’elle est associée à un trouble dépressif. Leur prescription reste cependant hors AMM (hors autorisation de mise sur le marché) dans cette indication. Ils peuvent être utiles en pratique clinique et présente un niveau de preuve élevé, mais leur utilisation doit être prudente et individualisée, en tenant compte des comorbidités psychiatriques et non-psychiatriques.

La mélatonine, notamment dans ses formulations à libération prolongée, dispose d’un niveau de preuve élevé dans le trouble insomnie(7), y compris chez des patients présentant des comorbidités psychiatriques. Son profil de tolérance favorable en fait une option intéressante, notamment chez les sujets âgés et dans les troubles circadiens (comme un retard de phase de sommeil) associés aux troubles de l’humeur.

Plus récemment, les antagonistes des récepteurs de l’orexine ont montré une efficacité de niveau de preuve très élevé dans le trouble insomnie(5). Des données de vie réelle commencent à émerger, notamment chez des patients souffrant de dépression, suggérant un intérêt clinique dans cette population. Ces molécules ouvrent des perspectives nouvelles, car elles ciblent directement les mécanismes d’éveil, avec un profil d’efficacité et de tolérance encourageant.

Enfin, d’autres molécules ont été testées, mais leur niveau de preuve reste encore insuffisant pour recommander leur usage dans l’insomnie(5). C’est le cas par exemple de certains antipsychotiques, d’antiépileptiques ou d’antihistaminiques, qui peuvent être prescrits en pratique hors AMM mais dont l’efficacité et la sécurité à long terme nécessitent davantage d’études.

En résumé, la stratégie pharmacologique doit être intégrée dans une prise en charge multimodale de l’insomnie, associant toujours en première ligne une TCC-I, en vie réelle ou numérique.

En conclusion, l’insomnie est un trouble central, un facteur de risque et une cible thérapeutique incontournable dans les troubles de l’humeur. Sa reconnaissance et son traitement devraient devenir un réflexe clinique pour tout psychiatre, au même titre que l’évaluation thymique et le risque suicidaire.

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Références : 

1. Geoffroy PA, Hoertel N, Etain B, Bellivier F, Delorme R, Limosin F, et al. Insomnia and hypersomnia in major depressive episode: Prevalence, sociodemographic characteristics and psychiatric comorbidity in a population-based study. Journal of Affective Disorders. janv 2018;226:132-41.
2. Royant-Parola S, Poirot I, Geoffroy PA. Impact of insomnia: Cultural and societal aspects from a European survey. Encephale. 2025 Mar 15:S0013-7006(25)00037-5. doi: 10.1016/j.encep.2025.01.004. Epub ahead of print. PMID: 40090828.
3. Palagini L, Geoffroy PA, Riemann D. Sleep Markers in Psychiatry: Do Insomnia and Disturbed Sleep Play as Markers of Disrupted Neuroplasticity in Mood Disorders? A Proposed Model. Curr Med Chem. 2022;29(35):5595-605.
4. Riise JG, Cambron-Mellott MJ, Zhang Z, Huber V, Pfau A, Yue L, Dwibedi N, Olopoenia A, Geoffroy PA. Examining the burden of major depressive disorder with moderate-to-severe insomnia symptoms in five European countries. J Affect Disord. 2025 Oct 1;386:119403. doi: 10.1016/j.jad.2025.119403. Epub 2025 May 14. PMID: 40378968.
5. Riemann D, Espie CA, Altena E, Arnardottir ES, Baglioni C, Bassetti CLA, Bastien C, Berzina N, Bjorvatn B, Dikeos D, Dolenc Groselj L, Ellis JG, Garcia-Borreguero D, Geoffroy PA, Gjerstad M, Gonçalves M, Hertenstein E, Hoedlmoser K, Hion T, Holzinger B, Janku K, Jansson-Fröjmark M, Järnefelt H, Jernelöv S, Jennum PJ, Khachatryan S, Krone L, Kyle SD, Lancee J, Leger D, Lupusor A, Marques DR, Nissen C, Palagini L, Paunio T, Perogamvros L, Pevernagie D, Schabus M, Shochat T, Szentkiralyi A, Van Someren E, van Straten A, Wichniak A, Verbraecken J, Spiegelhalder K. The European Insomnia Guideline: An update on the diagnosis and treatment of insomnia 2023. J Sleep Res. 2023 Dec;32(6):e14035. doi: 10.1111/jsr.14035. PMID: 38016484.
6. Maruani J, Stern E, Boiret C, Leseur J, Romier A, Lejoyeux M, Geoffroy PA. Predictors of cognitive behavioral therapy for insomnia (CBT-I) effects in insomnia with major depressive episode. Psychiatry Res. 2023 Nov;329:115527. doi: 10.1016/j.psychres.2023.115527. Epub 2023 Oct 4. PMID: 37839317.
7. Maruani J, Reynaud E, Chambe J, Palagini L, Bourgin P, Geoffroy PA. Efficacy of melatonin and ramelteon for the acute and long-term management of insomnia disorder in adults: A systematic review and meta-analysis. J Sleep Res. 2023 Dec;32(6):e13939. doi: 10.1111/jsr.13939. Epub 2023 Jul 11. PMID: 37434463.
8. Geoffroy PA, Palagini L. Biological rhythms and chronotherapeutics in depression. Progress in Neuro-Psychopharmacology and Biological Psychiatry. mars 2021;106:110158.

- Geoffroy PA, Lejoyeux M, Rolland B. Management of insomnia in alcohol use disorder. Expert Opin Pharmacother. févr 2020;21(3):297-306.
- Palagini L, Bastien CH, Marazziti D, Ellis JG, Riemann D. The key role of insomnia and sleep loss in the dysregulation of multiple systems involved in mood disorders: A proposed model. Journal of Sleep Research. déc 2019;28(6).
- O’Brien EM, Chelminski I, Young D, Dalrymple K, Hrabosky J, Zimmerman M. Severe insomnia is associated with more severe presentation and greater functional deficits in depression. J Psychiatr Res. 2011;45(8):1101-5.
- Pigeon WR, Bishop TM, Krueger KM. Insomnia as a Precipitating Factor in New Onset Mental Illness: a Systematic Review. Curr Psychiatry Rep. 2017;19(8).

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