Psychiatrie clinique, biologique et thérapeutique

La vie sans les benzodiazépines

Mis à jour le mardi 18 mars 2025

Éditorial

Consubstantielle à l’humain, plainte clinique fréquente, comorbidité et trouble en soi, l’anxiété est une source de souffrance fréquente chez nos contemporains. Envahissante pour qui l’éprouve, à la fois banale et exceptionnelle, captivante et désarmante, l’anxiété génère le plus souvent un handicap fonctionnel significatif. Parce que protéiforme et intriquée avec les éléments de personnalité et l’histoire de vie, l’anxiété constitue souvent un challenge diagnostique et thérapeutique pour le clinicien qui doit l’élucider, la faire concevoir à son patient et la traiter. Les benzodiazépines (BZD) sont progressivement devenues le traitement de première intention de l’anxiété. Leur succès repose incontestablement sur leur efficacité rapide et sur le soulagement ressenti par les personnes qui en souffrent. La pharmacovigilance a toutefois rapidement attiré l’attention sur les risques associés à une prescription systématique de BZD, que ce soit d’accoutumance, d’inefficacité sur certains troubles, mais aussi en raison des atteintes cognitives et du comportement qu’elles induisent à court et à long terme.

Pour ces raisons, et dans le cadre d’un regain d’intérêt pour une pratique médicale plus intégrative, la session intitulée « La vie sans les benzodiazépines » au Congrès de l’Encéphale 2025 a logiquement fait salle comble. Elle faisait dialoguer le Pr Christine Reynaert, psychiatre à la clinique Mont-Godinne (Belgique) et le Dr Dominique Servant, respon­sable de l’unité spécialisée sur le stress et l’anxiété du CHRU de Lille, sous la présidence du Dr Philippe Nuss du CHU Saint-Antoine à Paris.

Concomitamment à la mise en évidence des méfaits liés à l’usage excessif des BZD, des progrès ont été réalisés sur le plan fondamental concernant l’anxiété et les troubles anxieux. Les avancées concernent d’une part une meilleure compréhension de la signalisation cérébrale dans cette pathologie impliquant des modalités pluriréceptorielles et de connectivité fonctionnelle (1). D’autre part, la phytothérapie est sortie de son antre de médecine dite traditionnelle, grâce à la mise en évidence, en spectrométrie de masse, de cascades de synthèse de molécules pharmaco actives au sein des extraits de plantes, avec notamment les notions de « chémotype » et de « molécules d’entourage » (2). Parallèlement, il est devenu possible de standardiser la composition en molécules actives des extraits de plantes mis à la disposition des patients, comme ceux de la Passiflora incarnata. Les molécules de phytochimie ont démontré des interactions pharmacologiques avec divers systèmes biologiques impliqués dans l’anxiété, notamment dans la régulation de la signalisation des voies GABAergiques A et B en ce qui concerne la passiflore (3).

Parallèlement, un domaine de réflexion s’est développé sur les facteurs sociétaux et personnels qui contribuent à l’expression des troubles anxieux dans la population générale. L’insécurité sociale croissante et la perte de repères concernant les règles qui régissent notre groupe social semblent avoir favorisé l’émergence de manifestations anxieuses chez les individus. Les progrès constants en matière de développement et de bien-être dans les sociétés contemporaines semblent être contrecarrés par la permanence d’une instabilité politique et économique à l’échelle planétaire, sa médiatisation incessante et la prise de conscience de la fragilité des écosystèmes. C’est ce qu’indique l’étude ESEMeD (4), selon laquelle 10 à 20 % des personnes interrogées en France présenteront, au cours de leur existence, des critères de trouble anxieux. Confronté aux manifestations cliniques d’anxiété, sous-tendues par des causalités biologiques, sociologiques et psychologiques complexes, le clinicien doit dépasser les modèles simplifiés du type « clé-serrure » en pharmacologie, de stress, ou de la fatalité psychique. S’il adopte une logique de prescription catégorielle, le clinicien doit garder à l’esprit l’existence d’alternatives aux BZD, qu’il s’agisse des antidépresseurs ou d’autres molécules, comme les antiépileptiques ou les bêtabloquants. Cette conception s’élargit s’il envisage une phytothérapie de qualité pharmaceutique. Cette approche se fonde sur des règles psychopharmacologiques démontrables liées aux substances actives de la plante, mais elle permet aussi au patient de modifier positivement sa posture comportementale et psychologique vis-à-vis de l’anxiété.

Dans un système médical qui traverse une crise de disponibilité et de temps, il semble bénéfique que les réflexions des soignants et celles des personnes concernées par l’anxiété convergent et envisagent la prescription de phytothérapie autant comme une aide psychopharmacologique qu’un mouvement vers davantage d’implication sur le bien-être et la santé.

Références :

1. Long J, Song X, Wang C, Peng L, Niu L, Li Q, Huang R, Zhang R. Global-brain functional connectivity related with trait anxiety and its association with neurotransmitters and gene expression profiles. J Affect Disord. 2024 Mar 1;348:248-258
2. Kamal BS, Kamal F, Lantela DE. Cannabis and the Anxiety of Fragmentation-A Systems Approach for Finding an Anxiolytic Cannabis Chemotype. Front Neurosci. 2018 Oct 22;12:730
3. Appel K, Rose T, Fiebich B, Kammler T, Hoffmann C, Weiss G. Modulation of the γ-aminobutyric acid (GABA) system by Passiflora incarnata L. Phytother Res. 2011 Jun;25(6):838-43.
4. Prévalence et comorbidité des troubles psychiatriques dans la population générale française : résultats de l’étude épidémiologique ESEMeD/MHEDEA 2000/ (ESEMeD), L’En­céphale, 10/02/08

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