9 novembre 2016
Nous avons une iconographie classique, véritable image d’Epinal, de la consultation psychiatrique où les notions d’écoute et d’intimité restent au centre de cet entretien. De nombreuses illustrations à travers films ou romans ont conforté et parfois parodié cet instant qui reste à la fois traditionnel et cependant très moderne.
Cependant, le rôle du psychiatre dans la prise en charge de son patient ne peut se résumer à cet aspect. Classique et reconnu, le traditionnel courrier avec un médecin correspondant prendra la forme d’un compte rendu de consultation ou d’un rapport de sortie en cas d’hospitalisation du patient.
Elargissons encore la focale et un contact ponctuel, écrit ou verbal, avec un confrère d’une autre spécialité sera la règle lorsqu’une pathologie associée viendra réclamer un diagnostic précis. Rien que de très classique jusqu’à présent dans ces contacts interdisciplinaires reconnus et ponctuels.
Mais de nouvelles données relatives à certaines maladies psychiatriques chroniques, schizophrénie et trouble bipolaire par exemple, nous ont fait prendre conscience qu’au trouble psychiatrique s’associent de véritables pathologies organiques, parties intégrantes de la maladie, que le psychiatre doit prendre en compte dans les différentes étapes de leur évolution.
Ainsi la catégorisation, le dépistage, la prévention et la prise en charge thérapeutique au long cours de ces maladies amènent aujourd’hui le psychiatre à tisser des contacts étroits, réciproques et entretenus avec d’autres spécialités, ouvrant le concept d’interdisciplinarité qui nous intéresse aujourd’hui.
Pour illustrer notre propos, il sera pertinent d’une part de revenir sur les nouvelles données relatives au versant organique de la maladie schizophrénique ou du trouble bipolaire par exemple et d’établir par exemple un parallèle avec une maladie respiratoire telle que la BPCO ou broncho-pneumopathie chronique obstructive.
Le trouble bipolaire que l’on peut définir, en simplifiant, comme une catégorie de troubles de l’humeur définis par une fluctuation anormale de cette dernière, oscillant entre des périodes d’expansion de l’humeur dans le sens de l’élévation et des périodes de rétraction avec dépression. Ces différentes phases pouvant survenir alternativement, parfois simultanément, de façon lente, rapide ou rythmique, mais le plus souvent entrecoupées de périodes d’équilibre et de stabilité dénommées normothymiques ou euthymiques.
Mais les données récentes de la science ont démontré qu’à côté du versant psychiatrique, le trouble bipolaire génère une authentique maladie organique, centrée autour de trois grands axes : métabolique, cardiaque et vasculaire, responsables d’une véritable amputation de l’espérance de vie au travers d’accidents vasculaires cérébraux, cardiaques ou de décompensations métaboliques de type diabétique par exemple.
Ces données ont radicalement modifié la prise en charge des patients souffrant de troubles bipolaires qui seront, dès le diagnostic, explorés sur le plan organique afin de déceler tout état de vulnérabilité, pré-morbidité, quand il ne s’agit pas de pathologies déjà installées.
La broncho-pneumopathie obstructive (BPCO) est une maladie inflammatoire chronique de la bronche, le plus souvent d’origine tabagique mais non exclusivement, qui engendre une dyspnée qui va s’aggraver progressivement au travers de poussées de surinfection avec toux et expectoration, et dont le terme sera une insuffisance respiratoire engageant à son terme le pronostic vital.
La clef de voûte est donc la maladie respiratoire, mais la Bpco génère des complications cardiaques, musculaires, neurologiques et métaboliques qui vont aggraver les symptômes et la maladie. Devant cette nécessaire prise en charge multidisciplinaire, les pneumologues travaillent sur la nécessité de mise en place d’une véritable interdisciplinarité qui, bien au delà de différents avis médicaux spécialisés qui s’accumulent sans amener souvent échange et synthèse, permet un véritable échange et partage des informations allant dans l’intérêt du patient et de ceux qui le soignent.
En psychiatrie, cette notion d’interdisciplinarité, déjà mise en place dans certaines prises en charge de la bipolarité paraît devoir générer, pour notre spécialité une réflexion pertinente et une pratique performante.
Le dictionnaire de l’Académie Française nous enseigne que la discipline est :
Deux autres notions, toutes proches, viennent cependant, tout de suite à notre esprit dès que l’on évoque les notions de pluralité, diversité, et à la fois spécificité pour chacune des disciplines impliquées : la pluri ou multidisciplinarité d’un côté et la transdisciplinarité de l’autre.
La pluridisciplinarité concerne plusieurs disciplines distinctes ayant un même objet mais sans échange ni interpénétration de ces disciplines. Elle consiste à disposer d’un objet d’étude commun à deux ou plusieurs disciplines, chacune ayant son regard disciplinaire sur l’objet O.
La transdisciplinarité, pour sa part, concerne le déplacement à travers les frontières de deux disciplines. Elle consiste à transférer, transposer, transmettre tel quel un principe, une méthode, une technologie d’une discipline (couleur foncée) à une autre (couleur claire) chacune gardant sa spécificité et ses frontières.
L’interdisciplinarité, quant à elle, s’intéresse à l'intersection entre des disciplines. Elle dispose d’un objet d’étude commun et échange principes, méthodes, technologies, connaissances et compétences autour de cet objet d’étude et d’intérêt. Cet échange implique un dialogue, une mise en commun des données propres à chaque discipline ce qui rend leur contour plus informel. On pourrait écrire que chacune fasse preuve d’empathie vis à vis de l’autre ou des autres. Le territoire disciplinaire s’estompe au profit d’un continuum interdisciplinaire.
Différents vocables qualifiant l’interdisciplinarité ont déjà été évoqués : spécificité, échange, continuité. D’autres viennent aussitôt les compléter : complémentarité, communication, cohésion, liaison, implication.
Déjà, les notions évoquées nous permettent une première tentative de définition qui voudrait que l’interdisciplinarité soit le fait :
Une approche de définition ne saurait se concevoir sans envisager aussitôt les buts et les intérêts de la méthode, en réservant déjà une question car au delà de la méthode, ne s’agira t-il pas d’un art, tant la genèse de ce continuum interdisciplinaire paraît complexe et délicate ?
Qu’importe, art ou méthode, l’interdisciplinarité a été élaborée dans l’intérêt du patient, pour qu’il ait un sentiment d’unité et de cohésion dans le dédale des consultations de spécialités multiples que lui impose sa maladie. Et déjà, c’est pour lui très rassurant.
Fini le temps des données qui s’entassent, des dissonances qui se proclament, des prescriptions incompatibles, des recommandations qui se contredisent. La prise en charge plurifocale de sa maladie peut être synonyme de cohérence et d’harmonie.
C’est un partage plutôt qu’une addition de données et de propositions. Car dès lors, cette maladie devenue plurielle et éclatée du fait de ses complications, redevient une et singulière, et les différents regards médicaux qui se posent sur elle en reconnaissent l’unité et la singularité malgré la diversité de ses manifestations et la multiplicité de ses complications.
Voilà donc une ébauche de réponse à la question : Pourquoi ? La réponse à : Comment ? porte en elle la notion de réussite. Comment donc peut-on réussir une prise en charge interdisciplinaire ? Quelques propositions peuvent être élaborées ?
Au total, c’est pour le patient malade une meilleure qualité de vie, une meilleure communication méta-thérapeutique, un relatif sentiment de réassurance et de confort. Mais l’interdisciplinarité en retour apporte aussi confort et réassurance aux thérapeutes impliqués.
Une prise en compte de la parole de chacun, avec son impact et ses limites, amène une communication harmonieuse où chacun trouve sa place et où les objectifs posés et proposés le sont de manière collégiale et cohérente. Chacun énonce les propositions de sa spécialité en tenant compte des autres prescriptions, en venant ainsi reconnaître la parole de ses confrères.
Les cloisons tombent, la continuité s’établit, la réciprocité s’amorce, la complémentarité devient réelle.
Ainsi qu’il soit bipolaire ou qu’il souffre de BPCO, le patient se voit reconnu et respecté dans toutes les périodes et toutes les dimensions de sa pathologie, que l’on soit au stade de la recherche de complications ou de la prise en charge de ces dernières.
Et autour de lui c’est toute une équipe de médecins qui lutte contre la maladie et ses pièges, comme les mousquetaires luttaient unis et soudés contre les traquenards tendus à ceux et celles qu’ils servaient.
Un pour tous ! Tous pour un ! devient ainsi la devise de l’esprit d’interdisciplinarité pour établir, servir et assister le patient sur le chemin de sa maladie.
Dr Joël PON - Groupe Interdisciplinarité
Interdisciplinarité : Concepts clés. Ressources pédagogiques ICRA
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