Psychiatrie clinique, biologique et thérapeutique

Procustose des temps modernes

Mis à jour le jeudi 27 octobre 2022

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« Procruste, demeurait à Corydalle, dans l'Attique. Il contraignait les voyageurs de se jeter sur un lit ; il leur coupait les membres trop grands et qui dépassaient le lit, et étirait les pieds de ceux qui étaient trop petits. C'est pour cette raison qu'on l'appelait Procruste » ; Diodore de Sicile.

De son vrai nom Polypémon (le très nuisible), Procruste (littéralement « étire avec violence »), plus connu sous le nom de Procuste, était un brigand apparaissant dans les récits de la mythologie grecque et qui avait pour obsession l’uniformité des tailles humaines. Son exécution par Thésée mit fin à ces pratiques quelques peu barbares mais il semble pourtant que son grand principe uniformiste ait persisté jusqu’à nous, mais ce, sous une autre forme. Le Procuste d’aujourd’hui ne s’occupe en effet plus de la longueur des jambes, mais il se passionne à présent pour les cerveaux, leur taille et leur contenu, ainsi que pour l’apparence physique, l’épaisseur du portefeuille, le comportement sociétal, les croyances, le genre sexuel ou le positionnement hiérarchique...

Si la campagne présidentielle fut une véritable foire aux thèmes procustosiques (chacun y reconnaîtra ce qu’il souhaite), on ne peut que malheureusement constater que de grands principes uniformistes ont déjà infiltré notre société, et ce, depuis longtemps.

Déjà la bureaucratie, et son obsession fanatique pour les normes, la quantophrénie, et donc pour l’uniformité absolue, est depuis longtemps un zélé vecteur de procustose, comme chacun peut l’expérimenter quotidiennement. L’enseignement non plus n’y a pas échappé. Même analphabétisme et même diplôme pour tous, même si ce dernier ne vaut rien, et demain, le doctorat pour tous, y compris en médecine. Une belle dissertation sur la barrière de corail vaut maintenant bien mieux qu’une bonne connaissance de l’anatomie, et tant pis pour les malades s’ils seront prochainement opérés par des chirurgiens certes écocompétents, mais malheureusement anatomo-incompétents. Et nombreux sont les sujets de société contaminés par cette procustose des temps modernes, dont les sujets atteints se font les porte-voix d’une pensée unique, et donc identique, que les thèmes traités soient de registre économique, sociétal, religieux ou politique. La finalité est la même, soyons tous pareils, pensons tous la même chose, adoptons tous les mêmes comportements, vivons tous de la même manière, scandalisons-nous tous sur les mêmes sujets, mangeons tous la même chose, ayons tous les mêmes niveaux d’études et les mêmes revenus, ayons tous la même apparence physique, ayons les mêmes croyances, et pourquoi pas, soyons tous du même genre sexuel. Et s’il arrive que certains de ces malades magnifient une différence particulière avec exaltation, et c’est à cela qu’on les reconnaîtra, restons vigilants, il s’agit le plus souvent d’un alibi, ou d’un cache-misère, destiné à  soutenir de plus noirs desseins procustosiques, mais ce, sur d’autres thèmes. La folie uniformiste est en effet destinée à affecter toutes les dimensions de nos personnalités, nous réduisant in fine à l’état de clones.

La justification du malade atteint de procustose est toujours la même : pour être égaux, soyons identiques car ne pas être identique à l’autre est une inégalité et donc une injustice. Si l’on devine une forme de trouble identitaire derrière cette lubie, force est de constater que ceux qui en sont atteints l’ignorent et croient fermement pouvoir poser leur défaillance personnelle en idéal de vie pour autrui.

Qu’on ne se trompe cependant pas ; si le principe d’égalité est sacré dans notre société, la procustose en est un dévoiement, dévoiement trouvant son origine dans une perception dévalorisante ou insultante de la différence, vécue comme une injustice, et dévoiement amenant à considérer que l’égalité absolue n’est possible qu’au prix d’une stricte identité brandie en étendard de justice. Pour le procustosique, être l’égal de l’autre, cela ne peut être qu’en lui étant strictement identique. La survie de l’individu ne serait donc possible qu’au prix d’un mimétisme absolu, de préférence contraint. Grandes fureurs et postures outragées en effet, sont les préalables habituels à la désignation comme bouc-émissaire de ceux qui refusent de céder à cette frénésie mimétique, leur élimination amplifiant la dynamique infernale de la procustose. C’est donc un monde sosies, physiques et psychiques, un monde clones, qui nous attend demain.

Délire ? Obsession ? Idée fixe ? Croyance ? Trouble identitaire ? La catégorisation nosographique de cette nouvelle pathologie reste actuellement mystérieuse. Mais ce qui transparaît, au cœur de cette lubie uniformiste dont le credo serait « tous égaux, tous identiques, tous médiocres », c’est un supposé idéal de paix. Selon ses zélés laudateurs en effet, une stricte identité serait donc le seul garant de la stricte égalité, et serait ainsi un gage de relations pacifiées et harmonieuses entre individus.

C’est malheureusement exactement le contraire comme l’a si bien démontré René Girard [1]. Un monde clones est un monde de violence, exalté par les conflits de besoins et de désirs, par nature identiques, et par les rivalités et les jalousies qui en découlent. Il en sera par ailleurs fini des singularités individuelles, ainsi que de la richesse des complémentarités et des interactions entre individus, cœur de l’intelligence collective. Dans ce monde de clones violents et appauvris aussi bien intellectuellement que culturellement, et où le délire d’illusion des sosies sera devenu la norme, il ne restera plus qu’à attendre notre Thésée afin d’espérer survivre à cette procustose des temps modernes.

Vincent Mahé, conférencier du congrès de L'Encéphale

 

1 La violence et le sacré-René Girard, Grasset 1972.

Les rencontres de l'Anencéphale : tartarinite et procustose

Une session de l'Encéphale 2022

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