Il n’y a pas que la chronicité qui constitue un attracteur étrange, une sorte de pente glissante en psychiatrie. Il y a aussi le stigma des troubles mentaux. C’est le lot commun de la psychiatrie que de toucher à peu près tout le monde et de faire l’objet d’un assourdissant silence.
Pour ce qui est de la dépression plane toujours le spectre de la faiblesse constitutionnelle du sujet. Insuffisance de volonté, impuissance de l’âme, aquabonisme, vice cultivé faute de force morale, autant de contresens pour qui a vu de près la violence de la dépression. Il est possible que la tentation d’éviter le nom même de dépression fasse autant de ravages. Le burn-out fait ainsi florès, nous laissant nous, psychiatres, circonspects devant cet émollient social appliqué sur le diagnostic de dépression.
Il faut au contraire revendiquer le diagnostic de dépression, et plus encore de dépression résistante. C’est au psychiatre, idéalement en lien avec le médecin traitant, de mettre en place une stratégie thérapeutique ambitieuse pour sortir son patient des affres de la dépression. Il lui faut expliquer à ce même patient, à ses proches et à l’ensemble de la société que cette dépression est une fracture de son existence qu’il y a urgence à soigner.
Il faut expliquer que cette fracture survient chez une personne sur cinq au cours de sa vie, et que parmi ceux qui en sont victimes, un sur trois relèvera du diagnostic de dépression résistante. Dans tous les cas il faudra ne rien laisser passer, tout symptôme résiduel faisant le lit de la rechute. Un ami philosophe nous a dit un jour qu’en psychiatrie nous ne sauvions pas seulement des vies mais des existences. Voilà une mission ambitieuse !
Claire Jaffré
Interne de Psychiatrie, Doctorante en Neurosciences
Institut du Cerveau et de la Moelle Épinière, Paris
Ce contenu vous est proposé avec le soutien institutionnel de Janssen