Félix, âgé de 47 ans, en arrêt de travail depuis 4 mois, il est menacé de perdre son emploi de directeur commercial.
Les symptômes dépressifs sont faciles à appréhender : hyperémotivité, réveils précoces, difficultés de concentration et surtout idées de mort qui s’imposent par bouffées. D’ailleurs, il a fait une tentative de suicide médicamenteuse il y a 4 mois, début de la prise en charge. Le patient rapporte une irritabilité et une impulsivité marquées, se traduisant parfois par des accès de colère explosive, qu’il ne parvient pas à contrôler malgré les reproches itératifs de son entourage.
L’arrêt de travail, les traitements antidépresseurs (DEROXAT, puis EFFEXOR) n’ont pas entrainé l’amélioration escomptée.
Félix apparait accablé, désabusé, fatigué, soucieux néanmoins de donner une bonne image et sensible à un accueil un peu chaleureux et compatissant.
Il livre volontiers un discours pessimiste et culpabilisé exprimant le sentiment d’en «avoir trop fait depuis toujours ». Non seulement il est menacé dans son travail, mais sa femme parle de séparation depuis quelques années, ses enfants démontrent un esprit d’indépendance signifiant, selon lui, qu’il est disqualifié comme père.
Depuis quelques années il prend STILNOX et LEXOMIL de façon régulière mais « modérée, ajoutant même « de façon normale » médicaments prescrits par un médecin généraliste, le patient s’étant refusé à consulter un psychiatre. Le DEROXAT a entrainé des nausées, très importantes au début, atténuées par la suite, mais incompatibles avec une vie normale. Il a été impossible de dépasser un comprimé par jour. On a renoncé à cette molécule après un mois de traitement. L’EFFEXOR a provoqué des sudations profuses et pas d’effet thérapeutique évident à 150 mg/j et même à 225 mg/j sur 6 semaines environ.
L’histoire de Félix peut se résumer de la façon suivantes : 3ème d’une fratrie de 5, enfant d’une famille modeste, qui aurait pu être heureuse dit-il, si l’alcoolisme du père n’avait dominé la chronique familiale par des colères homériques. Très rapidement il a eu le sentiment qu’il lui faudrait « se débrouiller tout seul ». L’éloignement par rapport à la famille s’est confirmé quand son frère aîné toxicomane s’est suicidé à 25 ans.
Félix après son « bac » est engagé dans une entreprise familiale de confitures. D’abord représentant, il finit directeur commercial d’une entreprise devenue européenne.
Cet autodidacte s’est toujours montré généreux dans l’action, charismatique et efficace auprès de ses troupes, sensible aux encouragements et compliments de son « patron », lequel a fait un AVC il y a un an, il est moins présent. Son métier, sa réussite impliquaient beaucoup de temps à l’extérieur, beaucoup de repas « arrosés » et peu de présence à la maison. Les week-ends, il dormait…
Le surmenage, la culpabilité, associée au sentiment de réussite sociale pour la famille, l’alcool entrainaient de nombreuses scènes familiales dominées par l’incompréhension réciproque.
Il avait le sentiment que la vie lui échappait comme « le sable entre les doigts » dit-il.
Beaucoup de repas, beaucoup d’alcool ont conduit à un surpoids (107 kg pour une taille de 178 cm) avec diabète et excès d’acide urique et hypertension artérielle ; lui se croyait porteur d’une excellente santé, n’ayant jamais été malade.
Il a réussi à arrêter son tabagisme (30 à 40 cigarettes/jour) il y a 6 mois, ce qui l’avait rendu optimiste quant à ses possibilités d’arrêter l’alcool. Il y croit de moins en moins, révélant sa passivité masqué par son apparence d’hyperactif.
Nous avons proposé à ce patient l’hospitalisation pour plusieurs motifs :
Pour réaliser un sevrage de l’alcool, même si celui-ci peut se concevoir en ambulatoire. Nous pensons en effet, que l’hospitalisation est le plus souvent la meilleure façon d’entreprendre le traitement de la maladie alcoolique. Nous pensons aussi que la durée de l’hospitalisation est bien supérieure au temps nécessaire au sevrage physique et nous demandons au patient de prévoir deux à trois semaines d’hospitalisation pour initier le traitement.
La dépression du patient n’a pas répondu ni au Déroxat, ni à l’Effexor.
La définition de dépression résistante souffre d’un manque de consensus, les principaux éléments sont :
Ce patient a eu deux antidépresseurs, sont-ils véritablement de classe différente ?
On retiendra des facteurs de résistance :
Les principaux facteurs de résistance nous apparaissent liés aux troubles psychiatriques comorbides :
Autant d’éléments qui chez ce patient font augmenter considérablement le risque suicidaire, thème qui a pesé dans la proposition d’hospitalisation. Cette dernière a en plus réduit la comorbidité anxieuse dont on connait l’importance dans le passage à la chronicité.
Plus que de dépression résistante, il nous apparait donc s’agir d’une dépression pour laquelle le traitement médicamenteux est nécessaires mais insuffisant.
Il faut traiter les facteurs de résistance: sevrage d’alcool, aide psychothérapique.
Le bilan réalisé vise
NFS Plaquettes, Ionogramme plasmatique, Bilan rénal, Glycémie, Hémoglobine glyquée, Bilan lipidique, Bilan hépatique, Uricémie
Une échographie hépato-pancréato-biliaire
Un dosage des enzymes pancréatiques
Une radio de thorax voire un TDM thoraco-abdominal.
Un bilan ophtalmologique (retentissement du diabète)
Bilan phosphocalcique, Bilan thyroïdien T4, TSH, Eventuellement dosage de la PTH en fonction du bilan phosphocalcique, TDM cérébrale
Stéatose hépatique : quelles conséquences pour la prise en charge ?
Le patient présente une stéatose hépatique sans cirrhose ni hépatite alcoolique. (Augmentation isolée des Gamma-GT, foie hyperéchogène), favorisée par la consommation d’alcool et le syndrome métabolique.
Le traitement d’une dyslipidémie associée et notamment d’une hypertriglycéridémie pourra se justifier si celle-ci persiste malgré l’arrêt de l’alcool et les mesures hygiéno diététiques.
Ce patient devra poursuivre le traitement antidépresseur sur une longue période. Néanmoins, compte tenu des interactions pharmacocinétiques et pharmacodynamiques décrites plus haut entre l’alcool et les médicaments, nous lui communiquons les informations et conseils suivants :
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